miércoles, 18 de diciembre de 2024

New York 1966




Il est 20h
On est à New York, en 1966 et j'crois que j'vais vomir
La lumière des flashs des photographes, les vidéos projetées partout sur les murs
Ces mêmes murs dont certains recouverts d'aluminiums reflètent l'éclairage et renforcent l'éblouissement
Les bijoux, les strass, les paillettes, les verres qui tintent, les dents qui s'illuminent, les pupilles qui se dilatent
Les cœurs qu'on peut presque entendre battre de plus en plus fort à l'unisson
C'est peut-être cette harmonie, cette alchimie que veut créer Andy, en nous plaçant là, tous ensemble
Dès fois il me rappelle même les vieilles voisines de mon quartier quand elles préparaient méticuleusement le ramen
Chaque ingrédient, chaque épice, la chaleur, le temps de cuisson, tout avait de l'importance
C'est ce que je ressens chaque fois que je vais à la Factory comme si on était tous des ingrédients, soigneusement choisis par Andy, pour créer son ragoût à lui
Ce soir, c'est la première fois qu'on joue
Enfin, pour de vrai, quoi
Et putain comment c'est pas un geek de voir un tel public ça vous fout les tripes à l'air
C'est ce soir que Lewis meurt, ce soir que Lou devient
Baby vient me saluer
Elle est avec Sugar, et toutes les deux sont éblouissantes
On en voit nulle part ailleurs des filles comme ça, des filles qui viennent des quatre coins du pays, arrivées ici en stop ou en bus
Elles se sont données naissance en chemin, quittant le Kansas en tant que Jo
Arrivant à la Factory en tant que Dolly, sourcils épilés, jambes rasées, "lui" est devenu "elle"
J'entends à peine ce qu'elles me disent au milieu du bourdonnement de la foule et de la musique qui semble rebondir sur les corps
C'est bizarre parfois la vie, c'est peut-être ça qu'on appelle le destin
J'en sais rien mais c'que je sais, c'est que j'étais fait pour être ici ce soir parmi ces gens dans cette ville à cette époque
Tout en moi était à l'étroit avant, et n'attendait qu'à éclore ici, maintenant
C'est vrai que pour un p'tit garçon juif de Brooklyn, je paraissais plus destiné à devenir comptable comme mon père ou avocat comme mon oncle Abel
Tout, sauf Lou, du Velvet Underground
Mais il y a de tout à la Factory, des jeunes, des vieux, des femmes, des hommes
Et tout entre les deux, des riches, des pauvres, des junkies, des fous, on est tous là, et plus personne n'existe réellement
On est comme un magma, une énergie, un monde nouveau, où l'individu disparaît derrière le collectif
Andy dit qu'un jour, tout le monde aura son quart d'heure de célébrité
Je sais pas si c'est vrai, je sais même pas si c'est ce qu'on souhaite j'ai l'impression que si l'on est ici c'est surtout pour disparaître
Pas disparaître comme un truc négatif et définitif, plutôt se délester de l'écho, oublier le passé, la famille, les problèmes et les angoisses et pouvoir se réinventer
Ici, on est pas Jack, Annie ou Lewis
Ici on est Ultraviolet, Candy Darling, Hollywood Lound
Ici on façonne celui que l'on veut être, homme ou femme, humain ou plus que ça
Moi, j'me suis senti toujours trop à l'étroit dans le costume de Lewis Allan Reed, devenir Lou du Velvet Underground, c'est pour ça que je suis né et c'est ce soir la délivrance
Sterling, Jo et Mo me font un signe
C'est l'heure, je sens l'adrénaline monter, mon pouls s'accélère je peux presque l'entendre battre dans mes tympans comme un...