Wednesday, December 24, 2025

Une philosophe paradoxale * Elizabeth Anscombe







La philosophe britannique Elizabeth Anscombe (1919–2001), figure majeure de la pensée du XXe siècle et proche disciple de Ludwig Wittgenstein, reste encore méconnue en France, bien que son œuvre gagne en visibilité. Dans un texte des années 1980 intitulé La bonne et la mauvaise action humaine, Anscombe convoque la célèbre fresque de Raphaël, L’École d’Athènes, pour illustrer la tension entre idéalisme platonicien et réalisme aristotélicien, tension qu’elle reprend dans un article ultérieur de 1991 où elle distingue les « philosophes pour philosophes » – tels Platon ou Wittgenstein, concentrés sur les problèmes internes à la discipline – de ceux qui, à l’instar d’Aristote, s’ancrent davantage dans les réalités partagées. Par son style dense, ses négations complexes, sa rigueur argumentative et son langage technique, Anscombe semble appartenir au premier groupe, comme en témoigne son œuvre phare Intention (1957), redoutable traité sur l’action et la volonté. Pourtant, elle déjoue toute classification rigide grâce à un usage constant d’exemples concrets, une ironie discrète et un refus systématique de toute conclusion trop arrêtée. Ce équilibre subtil entre abstraction philosophique et enracinement dans le réel fait d’elle une pensée paradoxale, à la fois conservatrice – notamment dans sa défense d’une morale judéo-chrétienne rigoureuse – et d’une liberté intellectuelle exceptionnelle, capable de s’opposer au consensus tout en renouvelant les catégories du jugement moral.