Ludwig Wittgenstein, philosophe influent du XXe siècle, a marqué l'histoire de la philosophie par deux phases distinctes de sa pensée, la première exposée dans le Tractatus logico-philosophicus et la seconde dans les Recherches philosophiques. Son évolution intellectuelle, souvent résumée en deux grandes périodes, a influencé non seulement la philosophie analytique, mais également des champs comme la linguistique, la psychologie et l'anthropologie. Le Tractatus, publié en 1921, est un ouvrage dense et abstrait qui a pour objectif de clarifier la relation entre le langage, la pensée et le monde. Wittgenstein y soutient que le langage représente la réalité par des "images" logiques et que la tâche de la philosophie est de dévoiler les limites du langage. Une célèbre proposition de l'œuvre, "Ce dont on ne peut parler, il faut le taire", illustre son idée selon laquelle la philosophie doit se restreindre à ce qui peut être exprimé de manière claire, rejetant ainsi la métaphysique comme dépourvue de sens logique. Influencé par Frege et Russell, Wittgenstein a initialement adopté une vision rigide du langage, inspirée de la logique formelle. Cependant, après 1929, il renonce à cette perspective et entame une seconde phase de sa pensée, qui se concrétise dans les Recherches philosophiques. Dans cette œuvre, il rejette l'idée d'une structure logique unique du langage et développe la notion de "jeux de langage". Ces jeux, intégrant le langage et les activités humaines, montrent que le sens des mots dépend de leur usage dans le contexte social et culturel.
Wittgenstein introduit également le concept de "grammaire philosophique", qui vise à clarifier comment les mots sont utilisés, plutôt que de chercher des définitions universelles. Il critique ainsi la métaphysique traditionnelle en la qualifiant de "mauvaise grammaire", où les philosophes seraient tombés dans des pièges en confondant l'usage ordinaire des mots et leur signification supposée plus profonde. Cette approche le distingue des linguistes et des épistémologues, car il ne cherche ni à expliquer comment le langage fonctionne biologiquement ni à théoriser le savoir, mais plutôt à décrire comment le langage est employé dans la vie quotidienne. Les "jeux de langage" révèlent la nature contextuelle du langage et comment différentes activités ou pratiques sociales l'entrelacent. Un exemple simple pourrait être raconter une histoire à un enfant, qui n’est pas seulement une activité langagière, mais un acte social riche de signification. Par ce biais, Wittgenstein montre que la philosophie doit se recentrer sur l'étude des pratiques humaines ordinaires et se détourner des questions abstraites et déconnectées de la réalité vécue. L'une des métaphores centrales de sa seconde phase est celle des "airs de famille", qui décrit les ressemblances partielles et non essentielles entre les différentes manifestations du langage. Par exemple, le concept de "jeu" ne peut pas être défini par des caractéristiques fixes, mais plutôt par des similitudes qui se chevauchent entre différents types de jeux.
L'approche de Wittgenstein a souvent été critiquée pour sa radicalité. Des philosophes comme Gilles Deleuze l'ont qualifiée de "catastrophe philosophique", estimant qu'il réduisait la portée de la philosophie à une simple clarification du langage. D'autres, comme les tenants de la philosophie analytique, ont trouvé dans son travail une rigueur nouvelle et inspirante. Pourtant, Wittgenstein n'était pas un philosophe analytique au sens strict ; il était davantage un penseur indépendant, méfiant envers les écoles et doctrines établies. Une autre facette intéressante de Wittgenstein est son intérêt pour l'anthropologie. Dans ses travaux ultérieurs, il soutient que la grammaire philosophique doit s'appuyer sur une "forme de vie" humaine, c'est-à-dire le cadre culturel et social dans lequel s'inscrivent les pratiques langagières. Cette perspective le rapproche de l'éthologie, où le langage est vu comme une activité humaine parmi d'autres, comme la marche ou la nourriture. Ce naturalisme n'est pas réducteur ; il ne vise pas à trouver des invariants universels, mais plutôt à comprendre les régularités et les pratiques partagées. Wittgenstein avait une relation complexe avec la science et le cercle de Vienne, dont il a influencé les membres, mais dont il s'est éloigné en raison de leur positivisme rigide. Contrairement à eux, il voyait la philosophie comme une activité thérapeutique, destinée à guérir les philosophes de leurs illusions et de leur obsession pour des questions dénuées de sens pratique.
Sa vie personnelle, marquée par ses origines viennoises, son passage par l’Angleterre, et son expérience de la Première Guerre mondiale, a influencé sa pensée. Wittgenstein était également musicien et architecte, et sa sensibilité esthétique transparaît dans sa conception du langage, où l'on peut voir des échos de la musicalité et de l'architecture comme des modèles de régularités et de variations. Son rapport au politique et à l’éthique est plus subtil. Bien qu'il n'ait jamais publié d'œuvre politique explicite, ses écrits personnels et ses carnets témoignent de préoccupations sur l'état du monde et la nature humaine. Fasciné par l'idée d'une société sans classes, il a flirté avec le bolchévisme sans pour autant devenir un militant actif. Des interprétations de sa pensée incluent un "moment anthropologique", où la grammaire philosophique est liée à la toile de fond des pratiques humaines et de l'histoire naturelle. En résumé, Wittgenstein a contribué de manière unique à la philosophie en recentrant l'attention sur l'usage concret du langage, la diversité des formes de vie et l'interconnexion entre la philosophie et la pratique ordinaire. Sa pensée, marquée par des idées novatrices telles que les jeux de langage et les airs de famille, continue d'inspirer et de diviser les philosophes aujourd'hui, illustrant l'importance de la description plutôt que de la théorisation abstraite.