Mostrando entradas con la etiqueta 241123. Mostrar todas las entradas
Mostrando entradas con la etiqueta 241123. Mostrar todas las entradas

sábado, 23 de noviembre de 2024

Discours de Roger Martin du Gard pour le prix Nobel


Je tiens d’abord à adresser mon salut respectueux à l’Académie suédoise pour l’honneur retentissant qu’elle m’a fait. C’est un privilège que l’on n’accepte pas sans quelque crainte, car il rappelle la responsabilité qui l’accompagne. Si je ne crois pas avoir encore mérité cette distinction exceptionnelle, je garde l’espoir de produire des ouvrages qui justifieront mieux la confiance que vous m’avez témoignée. Recevez, messieurs, l’hommage de ma gratitude profonde. Obéissant aux obligations liées à cette haute distinction, me voici devant vous pour parler de mon œuvre. Permettez-moi d’évoquer Jean Barrois, un roman commencé en 1910 et publié à l’aube de la Grande Guerre. Ce livre, que je considère comme une enquête sur l’homme et son mystère, relate l’histoire d’un individu traversant les crises de la foi, de la raison et du doute. Le parcours d’un esprit libre. Jean Barrois, élevé dans la ferveur catholique, découvre à l’adolescence les affres du doute. « Penser, c’est toute une aventure », et pour comprendre, il doit d’abord cesser de croire. En rompant avec les dogmes de sa jeunesse, il devient un libre penseur, se lance avec ardeur dans l’affaire Dreyfus et fonde une revue militante. Mais la vieillesse et la maladie transforment ce lutteur intrépide : face à l’inconnu de la mort, il cherche un réconfort spirituel. Barrois nous enseigne que « la foi n’est pas tant un acte d’intelligence qu’un acte de sensibilité ». Son testament, écrit en pleine vigueur, rejette pourtant cette capitulation de la fin, car « il n’est rien de plus poignant que de renier son propre passé ». Ce drame individuel illustre les tensions éternelles entre la raison et les besoins profonds du cœur humain. Une œuvre ouverte sur l’homme. Je ne suis pas un auteur à thèse. Mon intention n’est pas de prouver, mais d’explorer. Jean Barrois est un document humain, non une doctrine. Il n’offre pas de réponse définitive, mais soulève des questions universelles sur le sens de la vie, les conflits de conscience, et le besoin d’espérance. Car « le vrai sujet d’étude pour l’humanité, c’est l’homme lui-même ».

viernes, 22 de noviembre de 2024

André Gide Interview


De l’indignation face au colonialisme à l’adhésion au communisme. Le retour du Congo fut pour moi un choc moral profond. J’y ai vu les ravages de ce que les nations dites "civilisées" imposent aux peuples colonisés, et la tragédie de Brazza, désillusionné par ce que la France avait fait de son œuvre, illustre ce désastre. Cette confrontation directe avec l’exploitation et la misère m’a indigné. Cette indignation m’a conduit à chercher une alternative sociale et politique à l’injustice. Je me suis alors tourné vers le marxisme, y voyant un espoir d’émancipation par la création d’une société nouvelle et la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme. Pendant plusieurs années, j’ai adhéré aux théories communistes avec enthousiasme, voire aveuglement. Je croyais sincèrement en la possibilité d’un avenir meilleur, porté par une société égalitaire. Pourtant, même dans mon engagement, je restais prudent, refusant de m’inscrire officiellement au parti, bien que j’aie soutenu publiquement ses idées et assumé un rôle militant. L’expérience soviétique : entre désillusion et gloire fugace. Mon voyage en URSS, entrepris avec des compagnons comme Pierre Herbart, fut une expérience marquante. L’accueil triomphal réservé aux visiteurs étrangers, les banderoles proclamant "André Gide, le plus grand écrivain français", tout cela frôlait le ridicule. Bien que j’aie ri de cette mise en scène avec mes amis, l’atmosphère oppressante et les signes de surveillance constante nous pesaient. Nous avions des "anges gardiens" qui suivaient tous nos pas, et je regrette aujourd’hui de ne pas avoir tenu de journal pour témoigner plus précisément des incidents révélateurs. Un moment clé fut cet avertissement discret d’un employé de l’hôtel : "Ne prenez pas l’avion." Ce conseil, murmuré dans une atmosphère de méfiance, révélait l’ambiance tendue et contrôlée du régime. Ce voyage, bien qu’enthousiasmant par moments, a marqué le début d’une désillusion qui allait s’approfondir. Une remise en question douloureuse. En URSS, j’ai compris que mes idéaux se heurtaient à une réalité bien différente. Malgré mon engagement sincère, la rigidité du dogme marxiste et l’orthodoxie imposée m’étouffaient. Je me suis rendu compte que le régime que j’avais soutenu ne tenait pas ses promesses et qu’il se livrait à des pratiques contraires à mes principes. Aujourd’hui, relire mes écrits de cette époque, où je louais la Russie soviétique, me fait frémir. Pourtant, replacées dans le contexte, ces convictions traduisaient un besoin sincère de croire en un monde meilleur. Cette expérience, bien qu’amère, a été formatrice. Elle m’a permis d’élargir ma compréhension du monde et de ses contradictions. Si ces années ont semblé "perdues pour la littérature", elles ont nourri ma pensée et affiné mon regard critique sur les idéologies.

Définition de l'intellectuel Par Jean-Paul Sartre




L’intellectuel se définit d’abord par son appartenance aux "techniciens du savoir pratique" : chercheurs, ingénieurs, médecins, écrivains, enseignants. Cependant, exercer ces métiers ne suffit pas. L’intellectuel naît au croisement de son travail et des contradictions qu’il perçoit entre cet exercice et les lois de la société capitaliste. Lorsqu’un savant, par exemple, découvre que son travail, ancré dans la recherche de l’universel, contribue à des usages contraires à cette universalité – comme la guerre ou l’injustice –, il devient intellectuel en dénonçant cette contradiction. Cette dénonciation n’est pas une posture extérieure, mais une souffrance intérieure. Le savant nucléaire qui réalise que ses travaux peuvent mener à la destruction et déclare s’y opposer incarne cette figure. L’intellectuel n’a pas de pouvoir réel, mais son rôle est d’éclairer, de manifester les contradictions d’une société qui aliène son travail et le détourne de ses fins universelles. L’intellectuel est pris dans une double exigence : il doit continuer à exercer son métier, car c’est en le faisant qu’il découvre ces contradictions, mais il doit également s’engager pour les dénoncer. Ce rôle diffère de celui du politique, dont la mission est de définir des buts et des stratégies concrètes pour transformer la réalité. L’intellectuel, lui, agit sur un autre plan, en incarnant et en exposant les tensions de son époque, sans pour autant disposer d’une efficacité immédiate. C’est cette inefficacité, paradoxalement, qui donne à l’intellectuel sa puissance critique. Loin de se limiter à une fonction neutre – écrire, enseigner ou chercher –, il relie constamment son travail à une réflexion sur les injustices qu’il perçoit et les responsabilités qu’il porte. Il engage ainsi son œuvre dans une dynamique où ce qu’il fait prend sens à travers ce qu’il dénonce. L’intellectuel est, par essence, celui qui refuse de se taire.