lunes, 11 de noviembre de 2024

Barthes - À propos du Plaisir du texte (1973)



Le début de la carrière de Roland Barthes En 1953, Roland Barthes se fait connaître du public avec la publication de Le Degré zéro de l'écriture, ouvrage marquant qui initie ce qui sera appelé plus tard la "nouvelle critique". Cet essai inaugure un renouveau dans l'approche critique, s'écartant des méthodes traditionnelles et ouvrant la voie à des analyses plus nuancées et subjectives. Au cours des deux décennies suivantes, Barthes enrichit son corpus avec des œuvres telles que Mythologies, où il décode les mythes contemporains, et des essais sur des figures littéraires majeures comme Racine, Sade et Balzac. Ces études suscitent la polémique en raison de la manière innovante dont il aborde les textes, en se détachant des conventions académiques. Barthes cherche non seulement à comprendre les œuvres, mais aussi à révéler les structures cachées de leur langage et à interroger la place du lecteur et de l'auteur dans le processus de création littéraire. Ses œuvres, loin de simplement critiquer, interrogent la manière dont la culture et la société influencent la production et la réception des textes. En publiant Le Plaisir du texte, il réaffirme son intérêt pour la complexité de la lecture, ajoutant de nouvelles dimensions à la relation entre l'œuvre et le lecteur, ce qui renforce sa position avant-gardiste et continue de nourrir le débat littéraire contemporain.

L’ambiguïté du "plaisir du texte" Dans Le Plaisir du texte, Barthes débute en soulignant l’ambiguïté du concept même de plaisir lorsqu’il est appliqué à la lecture. Pour lui, le plaisir du texte n’est ni simple ni univoque ; il varie d’un lecteur à l’autre et selon le contexte. Ce qui éveille l’intérêt et le plaisir de l’un peut ennuyer l’autre, rendant toute tentative de généralisation difficile. Barthes met en lumière la diversité des expériences de lecture et la manière dont celles-ci se modulent selon la sensibilité individuelle. Cette incertitude trouve ses racines dans la complexité psychologique du plaisir lui-même. Barthes rappelle que, historiquement, la philosophie occidentale a souvent marginalisé le plaisir, préférant des réflexions sur la raison ou l’éthique. Seuls quelques penseurs, tels qu’Épicure, Sade ou Diderot, ont exploré ce concept, et même là, il reste périphérique. La psychanalyse, en revanche, offre une vision plus nuancée, introduisant des distinctions entre différentes formes de plaisir. Barthes s’appuie sur ces analyses pour opposer la notion de plaisir à celle de jouissance, soulignant que la jouissance est plus radicale et déstabilisante, bouleversant l’ordre établi du lecteur. En résumé, Barthes présente le plaisir du texte non pas comme une simple appréciation, mais comme une rencontre complexe et souvent contradictoire, marquée par des dynamiques psychologiques profondes.

La distinction entre plaisir et jouissance Barthes introduit une distinction essentielle entre le plaisir et la jouissance dans Le Plaisir du texte. Le plaisir, selon lui, renvoie à une expérience de confort et de reconnaissance. Un texte qui procure du plaisir rassure le lecteur, conforte son identité et s'inscrit harmonieusement dans la culture établie. C'est une expérience plaisante et souvent compatible avec les normes et valeurs culturelles dominantes. La jouissance, en revanche, est d'une autre nature. Elle est plus intense, déstabilise le lecteur et le pousse hors de ses repères habituels. Un texte de jouissance est celui qui ébranle l'identité du lecteur, le pluralise et le dépersonnalise, créant ainsi une rupture avec la culture dominante. Barthes souligne que les textes capables de provoquer la jouissance sont rares et que leur appréciation varie d'une personne à l'autre. Contrairement au plaisir, la jouissance représente une expérience limite, presque marginale, qui peut même aller à l'encontre des conventions culturelles. Cette analyse montre que la lecture peut être bien plus qu'une simple activité de loisir ou de compréhension ; elle peut devenir une expérience transformatrice et subversive. Pour Barthes, ces distinctions ne visent pas à établir un classement rigide des œuvres, mais à inciter à repenser la manière dont nous abordons et évaluons les textes, en prenant en compte leur potentiel à nous bouleverser ou à nous conforter.

L’érotisme et la lecture Barthes utilise fréquemment un vocabulaire inspiré de l’érotisme pour parler de la lecture et de la littérature. Cette approche peut surprendre, mais il en justifie l'usage en soulignant la dimension d'investissement amoureux que le lecteur peut avoir vis-à-vis d'un texte. Pour Barthes, l'érotisme de la lecture ne se limite pas à une interprétation triviale. Il le voit comme un investissement passionnel qui dépasse la simple appréciation rationnelle et inclut une dimension affective et sensorielle. L'érotisme, selon Barthes, ne se limite pas à la représentation humaine, mais peut s'étendre à des objets divers, y compris aux textes littéraires. Cette vision élargie permet de considérer le texte comme un objet fétiche, capable de susciter des émotions profondes et complexes. Barthes évite toutefois l'utilisation banalisée du terme "érotisme", le jugeant galvaudé. Pour lui, l'érotisme appliqué à la lecture relève d'un contexte analytique et se réfère à l'investissement personnel et intime que le lecteur place dans le texte. Cette perspective enrichit la manière dont nous concevons l'acte de lire, non plus simplement comme un processus intellectuel, mais comme une interaction où la subjectivité et les émotions du lecteur jouent un rôle central. Par cette analyse, Barthes ouvre de nouvelles voies pour comprendre la relation complexe entre le texte et son lecteur.

Le plaisir et la politique littéraire Dans Le Plaisir du texte, Barthes fait une affirmation provocatrice en liant le plaisir à une idée de droite. Cette idée, loin d'être un simple paradoxe, invite à réfléchir à la place du plaisir dans la culture et la littérature. Barthes soutient que, traditionnellement, la gauche littéraire a souvent privilégié la littérature engagée, porteuse de valeurs de lutte et de transformation sociale. L'accent mis sur l'engagement et la fonction critique de l'œuvre a relégué le plaisir au second plan, associé à un confort jugé réactionnaire. Pourtant, Barthes cherche à montrer qu'il n'y a pas de contradiction entre la recherche du plaisir et l'engagement littéraire. Au contraire, il plaide pour que la gauche assume pleinement l'idée que le plaisir fait partie intégrante de l'expérience littéraire et théorique. Pour lui, le texte peut simultanément divertir, séduire et porter une charge idéologique forte. Cette vision non dichotomique de la littérature appelle à une réconciliation entre l'énergie créative du texte et son pouvoir critique. En réhabilitant le plaisir, Barthes incite à une vision plus ouverte de la lecture, où la profondeur et l'engagement peuvent coexister avec l'attrait sensuel et subjectif des mots. Cette approche renforce l’idée que la littérature est une expérience globale, mêlant réflexion et émotion.

La conception de l’écrivain La conception de l’écrivain a profondément évolué dans la critique littéraire, notamment sous l'impulsion de penseurs comme Barthes. Pour lui, l'écrivain n'est plus simplement le "père" de son œuvre, une figure toute-puissante dictant les significations et recueillant tout le mérite de la création. Cette idée, issue des travaux de Barthes et d'autres théoriciens, a déconstruit l'image romantique de l'auteur comme créateur unique et omnipotent. Barthes propose de réintégrer l'auteur dans la réflexion littéraire, mais d'une manière différente : l'auteur devient une figure que l’on devine à travers l'œuvre, sans qu'il en soit l'origine absolue. Cette conception invite à dissocier l'œuvre de la personne de l'auteur, permettant ainsi une approche plus libre et variée de l'interprétation. L'œuvre est alors perçue comme un texte autonome, ouvert aux lectures et aux interprétations multiples. Barthes critique ainsi l'idée traditionnelle d'un écrivain "propriétaire" de ses mots, et encourage à voir l'écriture comme un acte collectif, influencé par des contextes culturels et des lectures successives. Cette réflexion sur l'écrivain redéfinit notre manière de comprendre la littérature et les œuvres : elles sont des entités vivantes, dont le sens se renouvelle avec chaque lecture, et non des objets figés.

La recherche de la nouveauté en littérature Pour Barthes, l’innovation en littérature et en pensée est essentielle. Le "nouveau", loin d’être une simple mode, possède une valeur intrinsèque, presque purificatrice. Barthes critique les formes stéréotypées et répétitives de la littérature, qu’il considère comme insupportables. Selon lui, la quête du nouveau répond à un besoin fondamental de progression et de renouvellement, nécessaire dans une société en constante évolution. Cette recherche est difficile, car l'innovation peut elle-même devenir stéréotypée et perdre sa substance. Cependant, Barthes soutient que l'effort pour trouver et créer des formes nouvelles est indispensable à la vitalité de la culture. Loin d’être un caprice, cette démarche participe à la dialectique de la société et pousse à aller plus loin dans la réflexion et la création. La mode, souvent perçue comme éphémère, n’est pas sans importance, car elle révèle des dynamiques sociales et des aspirations collectives. Pour Barthes, l’innovation n’est donc pas seulement un choix esthétique ; elle est un impératif culturel qui propulse la société vers un état de questionnement et de développement continus. Cette conviction reflète sa vision de la littérature comme un champ ouvert, où la créativité et le renouvellement ne sont pas des options, mais des nécessités pour que l’art reste pertinent et vivant.

Lecture, tragédie et perversion Barthes explore la notion de perversion dans la lecture en se basant sur la psychanalyse freudienne, où le terme désigne un clivage du sujet. Pour illustrer cela, il évoque le spectateur antique de la tragédie grecque, qui connaissait déjà l’issue de l’histoire, mais éprouvait tout de même une intense émotion en la suivant. Ce phénomène, où le lecteur ou spectateur agit "comme s'il ne savait pas", incarne pour Barthes une forme de perversion. Il s’agit d’un clivage où une partie du sujet feint l'ignorance pour mieux savourer l'expérience. Cette perversion littéraire, loin d'être négative, souligne la complexité de l'engagement émotionnel dans la lecture. Pour Barthes, la lecture est une expérience à la fois rationnelle et émotionnelle, où la connaissance et le ressenti coexistent de manière contradictoire. Cette approche enrichit la manière de percevoir la tragédie et le drame, les transformant en espaces où le plaisir et la tension se mêlent. La lecture n'est donc pas un acte innocent, mais un processus complexe impliquant des contradictions et des engagements profonds. Cette perspective souligne la richesse de la littérature comme moyen d'explorer les aspects multiples et souvent paradoxaux de la condition humaine, où la raison et l'émotion se rencontrent et se confrontent.