Au début du XIVe siècle, sur la rive gauche de la Seine à Paris, le quartier latin s’anime autour de la rue des libraires. Les artisans du livre – parcheminiers, relieurs, enlumineurs – y œuvrent avec minutie. Un maître enlumineur, absorbé par son travail, illustre une bible commandée par un riche collectionneur. Dans la lumière vacillante de sa bougie, il s’apprête à représenter la création du monde sur quelques centimètres de parchemin. L’enluminure médiévale est plus qu’une simple illustration : elle dialogue avec le texte et transcende le récit. Isabelle Marchesin, historienne de l’art, scrute ces images depuis plus de vingt ans. Elle cherche à comprendre ce qu’elles racontent au-delà du visible, explorant leur construction et leur sens profond. Marchesin analyse les enluminures sous l’angle de l’ontologie, c’est-à-dire l’étude des choses en tant qu’elles sont. En examinant une bible médiévale, elle observe un cercle bicolore illustrant la création : une moitié noire, l’autre blanche. Ce choix artistique interroge le texte biblique et sa représentation de la lumière comme principe fondamental. Plus loin dans le manuscrit, un autre cercle, entouré de couleurs symboliques, représente la Terre et ses éléments. Cette distinction entre la lumière primordiale (lux) et la lumière rayonnante (lumen) révèle la complexité des concepts médiévaux sur le monde et l’univers. Grâce à ces observations, Marchesin et son équipe élaborent un lexique en ligne qui relie les œuvres entre elles selon leurs motifs, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives sur l’art médiéval. La recherche de Marchesin ne se limite pas à la contemplation des images ; elle repose sur des hypothèses audacieuses et des heures de travail rigoureux. Elle explore notamment comment la saturation des couleurs dans les enluminures pourrait refléter la spiritualité des personnages ou des objets représentés. Son enthousiasme pour la découverte scientifique est palpable : chaque révélation est un moment d’émotion intense, marquant un jalon dans sa compréhension du monde médiéval. Ce travail exige patience et persévérance, car comparer des œuvres, établir des connexions et valider des intuitions demande du temps. Pourtant, c’est précisément dans ces instants de révélation que réside la magie de sa discipline. L’attrait de Marchesin pour l’iconographie médiévale remonte à son enfance, nourri par des images comme celle de Roland brandissant Durandal. Elle se souvient avec émotion du moment où elle a compris que certaines enluminures intégraient la dimension du son et de l’oralité, reliant texte et image dans une unité cohérente. Son travail, animé par une quête de compréhension globale, vise à tisser des liens entre les éléments épars du passé. Grâce à son projet numérique, elle espère offrir au public un accès inédit à ces trésors visuels, permettant à chacun de s’immerger dans l’univers fascinant des images médiévales et de percer les mystères de leur signification profonde.